lundi 31 août 2015

Insulter sans offense

J'aime bien "Mange tes morts !", comme insulte. Parce que c'est une insulte qui n'est ni misogyne ni homophobe, ce qui n'est pas si courant, ni discriminatoire pour quelque groupe que ce soit.

Et pourtant, peut-être les Guayaki seraient-ils offensés qu'une de leur pratique funéraire soit utilisée comme insulte.

Et je t'assure, tu veux pas offenser les Guayaki.

lundi 24 août 2015

Le recyclage des ossements

Sur le site, il y a plusieurs squelettes humains presque entiers.

C'est rare finalement de voir de si près des squelettes humains qui ne soient pas des trucs en plastique pour la décoration.

L'un, une tombe plus tardive est venue lui couper la jambe par le milieu, posée en biais par-dessus sans façons.

Les os ont un aspect étrange, plat, comme des rubans. Mais après tout c'est peut-être leur aspect normal, je suis pas si familière des squelettes.

D'un crâne dont les dents sont quand même incroyablement grosses on me dit non en fait ça c'est une tête de veau, c'est normal à l'époque on mettait vraiment n'importe quoi à l'intérieur des murs ça servait de poubelle.

L'ambiance est archéologique, décontractée, pas recueillie pour un sou.

Je suis d'abord étonnée qu'on laisse ces restes comme ça à ciel ouvert pour les visiteurs, même sur un site de fouille. Ça a été un cimetière, ces tombes étaient faites pour rester fermées. N'est-ce pas une profanation d'exposer ces ossements ? Autant d'ossements ? Que fait-on du respect de la mémoire des morts ?

Et puis je me souviens qu'il n'était pas rare à l'époque d'ajouter deux, trois corps par-dessus le premier dans la tombe un fois celui-ci bien racorni. Et ainsi de suite. Que nos concessions actuelles ne sont, la plupart du temps, que temporaires, de cinquante ans au maximum, après quoi, en l'absence de renouvellement, les restes sont discrètement évacués.

Autrement dit : un corps, ça n'a qu'un temps. Les rites funéraires ne s'adressent pas à l'éternité, ils ont une limite temporelle. Une fois cette limite passée, les restes - ossements, débris, poussière - ne sont plus le mort, ne renferment plus sa mémoire.

Le temps du déroulement du rite, c'est le temps nécessaire à la déliaison ; à cesser de voir le défunt dans ces pauvres débris matériels qui ne lui ressemblent en rien. Une fois écoulé le temps jugé nécessaire à cela selon les cultures - parfois plusieurs dizaines d'années, parfois juste le temps de la cérémonie funéraire - ce n'est plus un corps humain, mais un simple déchet. Il n'est plus tabou. L'esprit a fui.

Pourquoi continuerions-nous à voir quelque chose de sacré dans ces os vieux de plusieurs siècles, quand la société même dont ils sont issus leur ôtait ce statut après quelques dizaines d'années ?

Les ossements cessent alors d'être des restes humains et redeviennent ce qu'ils sont exactement - rien qu'un peu de matière. Il est alors possible de les déplacer, de les jeter, de les utiliser comme matériaux de construction. Ou de les regarder sans émotion, pierres parmi les pierres, au milieu des vestiges d'un cimetière abandonné depuis près de mille ans.

dimanche 23 août 2015

Dom, sub et identités de genre

Il faudrait sans doute trouver d'autres mots que ceux de dom / sub, qui peuvent rebuter en évoquant des systèmes d'oppression. Car ces termes ne désignent en réalité que très imparfaitement les rapports de domination et de soumission dans les jeux érotiques, qui ne jouent sur l'aliénation que de façon symbolique ; et où, bien loin que l'existence de l'un des partenaires soit niée au profit de l'affirmation de celle de l'autre, comme c'est le cas dans une dynamique oppressive, dans les rapports dom / sub en réalité tout est fait pour le ou la sub, qui est le centre et le but du jeu ; et le respect préalable de la personne du ou de la soumisE est la condition même du jeu de domination / soumission, ce qui en autorise l'existence, ce qui permet à sub de se remettre en confiance entre les mains de dom ; ce qui permet en outre aux rapports dom / sub d'être l'exorcisme et la contestation des rapports d'oppression réels.

Mais surtout, dom et sub, cela peut être n'importe qui. Dom n'est pas nécessairement homme. Sub n'est pas nécessairement femme. Dom n'est pas forcément quelqu'un d'autoritaire dans la vie de tous les jours, sub n'est pas toujours timide et effacéE. Au contraire. Sub et dom peuvent chacun avoir toutes sortes de personnalités en-dehors de ces jeux, parfois en accord, parfois parfaitement à l'opposé de leur rôle de prédilection - vous seriez surpris comme les gens sont différents lorsqu'ils entrent dans le jeu. Il est impossible de deviner a priori si quelqu'un est plutôt dom ou plutôt sub avant d'avoir directement abordé - ou pratiqué - le sujet avec cette personne. Ni, d'ailleurs, si cette personne est bien dans le rôle qu'ielle a choisi ou tout à fait à côté de la plaque.

J'aimerais que l'on considère davantage nos conception des identités de genre femme / homme comme on le fait des rôles dans les jeux de domination / soumission.

Que chacun puisse choisir d'adopter une identité un peu, totalement, ou à divers degrés.

Que cette identité soit quelque chose qui fait l'objet d'un choix, non quelque chose qui s'impose à nous du dehors.

Qu'il ne soit pas meilleur d'être l'un ou l'autre - ou autre chose.

Que l'on puisse sans problème inverser, être selon les jours parfois l'un, parfois l'autre. Selon ce que l'on sent, selon son humeur, comme un projet ou par envie de jouer.

Ou ni l'un ni l'autre. Que l'on puisse périodiquement poser le sac, se mettre en vacances des rôles de la comédie du genre, ou même déclarer de façon permanente que ces rôles-là c'est pas pour nous, pas notre came, que l'on n'a pas envie d'y jouer - et que ça ne pose aucun problème, ni à ceux qui aiment jouer à ces rôles, ni aux autres, parce qu'après tout un jeu n'engage que celleux qui y jouent, et si celleux-là s'y amusent, pourquoi perdraient-ils leur temps à vouloir forcer à y jouer celleux que de toute évidence cela n'amuse pas.

Que ces rôles soient quelque chose que l'on endosse de temps en temps, pour quelques heures, pour en faire quelque chose d'intéressant, non quelque chose que l'on porte jour et nuit comme un masque de fer.

Que l'on puisse commencer à jouer un rôle, en changer ou se désintéresser de ce jeu-là - préférer un autre jeu - à n'importe quel moment de son existence.

Qu'il soit encouragé de jouer avec les codes de ces rôles, ou d'en inventer de nouveaux.

Que chacun puisse choisir sa manière d'interpréter le rôle qu'il choisit, et s'il veut en reprendre tous les aspects traditionnels ou faire son choix parmi ceux-ci.

Ou choisir ce qui lui plaît dans chacun des deux rôles, pourquoi pas.

Que chacun ait conscience que ces rôles sont juste des rôles parmi tant d'autres, et que la distinction masculin / féminin n'existe que comme une parmi une infinité de polarisations possibles des relations humaines - qui, d'ailleurs, ne se bornent pas à des polarisations binaires.

Que personne ne s'autorise à préjuger de ce que l'on est simplement sur notre apparence extérieure - que ce soit quelque chose d'intime et de personnel, non quelque chose que l'on porte écrit sur son front, mais quelque chose que seuls les proches, ou tout simplement ceux que cela concerne, savent.

Et que cela ne pose de problème à personne de ne pas savoir si l'on s'identifie comme homme ou femme - car chacun comprendrait que ce n'est qu'une toute petite partie de ce que l'on est, avec un champ d'application restreint, et absolument sans objet dans la plupart des situations de la vie.

A celleux qui craignent de ne plus pouvoir, dans ce contexte, trouver facilement d'"homme" ou de "femme", qu'ielles se rassurent : le fait que ce ne soit pas marqué sur leur figure n'a jamais empêché les adeptes de domination / soumission de s'apparier selon leurs goûts et leurs attentes. La communication, la communication, la communication, mes chériEs. Et le plaisir de la recherche, comme pour les girolles.

A celleux inquiets à l'idée que peut-être ielles se trouveront fleureter avec quelqu'un sans savoir si cette personne s'identifie comme homme ou comme femme, qu'ielles se demandent ce qui est le plus important pour eux, que cette personne leur plaise ou qu'elle rentre dans la case qu'ielles ont définie par avance comme leur terrain de chasse (qu'ielles en profitent pour se demander si ça leur plaît vraiment de considérer la séduction comme une chasse. Si ça leur plaît c'est OK, c'est un rôle comme un autre, à condition de ne pas confondre le rôle avec la réalité parce que ce serait dangereux ; mais c'est important de savoir que c'est pas obligé). Et qu'ielles se rassurent : si mes vœux se réalisaient, personne, mais vraiment personne ne songerait à préjuger de leur identité de genre en se fondant sur celle de la personne qu'ielles fréquentent. Et personne ne songerait non plus à considérer qu'une identité de genre est glorieuse et toutes les autres dégradantes.

A celleux enfin qui crieront que je veux rendre tout le monde pareil et que je suis contre les différences, ou qui ont l'impression que je veux les forcer à ou leur interdire quoi que ce soit, qu'ielles relisent ce texte plus lentement. Avec tous les mots. Dans l'ordre. Plusieurs fois. Jusqu'à compréhension.

Chacun, s'il s'examine avec honnêteté, prendra conscience qu'en réalité, c'est déjà le cas, les identités de genre femme / homme sont des rôles. Choisir un rôle - pas nécessairement un de ces deux-là - et l'interpréter à notre manière, c'est ce que nous faisons déjà tous, ou que nous aimerions faire. Il ne s'agit que de faire advenir cette réalité, de la faire passer d'inconsciente à concrète - qu'elle fleurisse, pour que d'un seul coup la vie entière devienne plus exaltante.

samedi 22 août 2015

Je te connais mieux que toi-même

Il y a ces gens, quand ils vous parlent, ils vous donnent l'impression qu'ils vous connaissent plus intimement que vous-même, chacun de leurs mots éclaire votre intériorité, d'une phrase ils dénouent les pelotes de nœuds indescriptibles avec lesquelles vous vous débattiez vainement.

Et d'autres qui semblent vouloir vous convaincre que votre corps est constitué à 70% de cuillères-souvenir.

jeudi 20 août 2015

Méditation 1

Je t'ai devancée, Fortune, et j'ai fait pièce à toutes tes intrusions.

Comme il est en réalité très difficile, prenant cela pour but, de faire le vide dans son esprit, je décidai d'explorer celui-ci comme une chambre vide. Ce n'était pas une phrase, une idée ou un souhait, mais une expérience : éprouver cette sensation qui est la mienne d'avoir en moi un lieu calme et silencieux, prendre le temps de parcourir cette chambre vide.

La chambre est calme et claire. Elle n'est pas immense - on ne peut s'y perdre - mais sa nudité donne une agréable sensation d'espace. La température y est idéale, et un délicieux courant frais la traverse, juste assez pour animer l'air. Je profite de l'impression de paix que je trouve dans cette chambre, je la parcours à loisir, son calme m'imprègne, je suis tout entière présente à cette expérience, mais d'une présence qui n'a rien de frénétique. Mon regard parcourt la pièce autour de moi, je me déplace un peu, je suis en ce lieu parfaitement posée, un sentiment de clarté dans mes pensées.

Une découverte que je fais et qui me surprend, c'est que je n'ai pas besoin de rejeter le trouble hors de la pièce - hors de mon esprit - car il n'y est pas. Il reste dehors. Il ne peut y entrer. J'ai cherché, pratique courante en méditation, à le saisir pour l'expulser, mais impossible : je ne peux même pas me le représenter dans cette chambre vide. Il n'y est pas présent du tout. Je jouis de ce lieu intérieur sans trouble, et qui m'est donné tel. Ce n'est pas une tranquillité conquise de haute lutte - ce qui serait paradoxal - mais l'état dans lequel je trouve mon lieu intérieur, et que je goûte lorsque j'y porte mon attention.

Je découvre ensuite que la chambre n'est pas tout à fait vide. Il y a quelques meubles ou, plus exactement, quelques pôles. Il y a un lieu pour travailler, écrire, penser. Il y a un lieu pour se reposer. Les deux sont accueillants. Presque aucun livre, et nul autre objet. Les murs sont d'un blanc aimable, réfléchissant la douce lumière.

Le courant d'air frais que je sentais caresser mon visage provient de hautes fenêtres vers lesquelles je me tourne. Elles surplombent un magnifique paysage de villes, de collines et de rivières où le regard porte loin. A l'horizon, la mer. La lumière est douce, ensoleillée et légèrement brumeuse comme dans un tableau d'un peintre flamand. La chambre se situe en hauteur mais pourtant je n'éprouve aucun vertige. Elle est ouverte sur le monde - et parvenue au terme de cette méditation j'ouvre les yeux.

mercredi 19 août 2015

Le dévoilement


"Il est clair que, derrière le rideau, il n'y a rien, à moins que nous ne le traversions nous-même, pour qu'il y ait à la fois quelque chose à voir - et quelqu'un pour le voir." 

Parfois je perçois le monde comme à travers une paroi de plexiglas.

Tout me semble lointain, je ne suis pas vraiment là. Ce n'est pas mon esprit qui vagabonde, mais les personnes avec qui je suis, je ne ressens pas leur présence, les émotions que je devrais éprouver, elles ne se produisent pas.

Peut-être que cette paroi invisible est là pour me protéger, comme les bébés bulle ou les grands brûlés. Mais elle me retranche également.

J'ai appris à ne pas trop m'en inquiéter. Bien sûr, c'est très désagréable. C'est même affreux. Mais à présent, quand cela se produit, je sais que cela ne correspond pas à une altération de mes relations avec autrui; je sais que c'est simplement cette paroi invisible qui s'est remise en place, qu'elle altère, momentanément, mon contact avec la réalité, mais que celui-ci reviendra. Il suffit d'attendre. Je patiente alors.

Le monde, et les émotions qu'il génère, me parviennent comme à travers de minuscules trous d'épingle dans la paroi. Tout petits points de lumière sur un ciel - non pas obscur, mais opaque. Comme de rares étoiles se dévoilant par une nuit nuageuse.

Ces étoiles, il faut les saisir, les remarquer, sourire à leur éclat. C'est important. Car ce qu'elles disent, c'est qu'il y a, loin, là-bas, à des années-lumières, inaccessible, mais bien réel, un grand soleil qui réchauffe de ses feux ce qui l'entoure.

Ce grand soleil, pour le moment, ne t'apparaît que comme une lumière minuscule et glacée, tête d'épingle dans une immensité obscure. Mais bientôt tu auras traversé la distance, et la chaleur de ses rayons baignera ton corps tout entier.

Ces points de lumière vive m'indiquent la direction. Je sais qu'en les suivant, je pourrai rentrer chez moi.

Car contrairement aux étoiles du ciel, mes émotions ne sont pas à des années-lumière : elles sont là, à portée de la main. Juste derrière la paroi.

mardi 11 août 2015

Chateau d'eau

Je ne me suis jamais faite à cet endroit. Il a instantanément crispé chaque pouce de ma peau, et ce n'est que lorsque j'ai été certaine de bientôt le quitter que j'ai pu m'y détendre.

Dehors, il y a ce bruit permanent, rappellent le sifflement que fait parfois l'eau dans les canalisations. Sans doute une clim.

A l'intérieur, le bruit de la ventilation, grondement sourd, puissant, envahissant comme lorsque l'on ouvre grand un robinet, faisant jaillir l'eau à gros bouillons.

Ces bruits évoquant l'eau, ils sont pourtant hostiles. Car ce n'est pas l'eau joyeuse, bondissante des fontaines et des ruisseaux. C'est l'eau des karcher, l'eau assourdissante des barrages hydroélectriques.

Pas le frais murmure de la nature, mais un eau industrielle.

Une eau dure comme un mur de béton en travers de ma tête.

Une eau si solide que l'on pourrait se fracasser contre.