mercredi 20 mai 2015

Souci

Il y a celleux dont tu sais qu'ils essayeront à tout prix de te rendre plus gaie et qu'ils t'en voudront si à la fin tu n'es pas plus gaie.

Celleux qui t'envoient des messages qui disent "comment ça va bien ?", comme si tu avais juste besoin qu'on te force à voir le bon côté des choses.

Celleux qui, quand tu leur as écrit que ça n'allait pas, n'ont plus répondu.

Celleux qui, après un silence embarrassant, changent de sujet.

Celleux que tu énerves.

Celleux qui pensent que c'est un peu de ta faute.

Celleux qui n'ont rien vu.

Celleux qui disent "par ce temps, comment ça pourrait ne pas aller ?"

Celleux qui demandent comment ça se passe exactement, comme s'ils étaient en train de chercher dans quelle case du diagnostic te fourrer.

Celleux qui n'ont pas l'air de te croire.

Celleux qui veulent te sortir de force.

Celleux qui te bousculent.

Celleux qui te secouent.

De toutes celles et ceux-ci, par temps de nuit, se tenir loin.

Et rechercher celleux qui écoutent, ne jugent pas, se soucient.

mardi 19 mai 2015

Mes cheveux courts

Mes cheveux courts disent que je ne suis pas une petite chose fragile.

Mes cheveux courts disent que je n'ai pas besoin qu'un homme me protège, ni qu'on prenne soin de moi à ma place.

Mes cheveux courts disent sois de mon côté, moi, je serai du tien.

Mes cheveux courts disent que ce matin, j'ai passé une demi-heure à faire du yoga plutôt qu'à lisser mes longueurs.

Mes cheveux courts disent eh mec regarde, j'ai la même coupe que toi - mais elle me va mieux.

Mes cheveux courts c'est fou ce qu'ils sont bavards depuis que je les ai coupés, à croire que toute cette masse ça leur pesait sur la langue.

Mes cheveux courts disent t'as vu comme je suis belle avec mes cheveux courts, c'est parce que mon visage, mon allure, mon être.

Mes cheveux courts disent : je vais te manger.

Mes cheveux courts disent que je suis invulnérable (parfois ils disent beaucoup de conneries).

Mes cheveux courts disent : je sais me couper les cheveux moi-même, et la beauté de la chose, c'est que je vais continuer, et je vais devenir encore meilleure à ça.

Mes cheveux courts disent eh copine viens, on va faire le tour d'Europe à pieds à vélo à rollers, je sais pas en faire mais c'est pas grave j'apprendrai, c'est ce que disent mes cheveux courts.

Mes cheveux courts disent t'aurais jamais cru me kiffer autant avec les cheveux courts.

ça, c'est à moi qu'ils le disent, surtout, en fait.

Plonger

Au bord du lac, il y a une piscine, dans cette piscine, il y a un plongeoir.

Un grand. Plus grand que celui que je fréquentais gamine avec de délicieux frissons dans le ventre, qui culminait à cinq mètres, et c'était déjà beaucoup. Non, celui-ci, il monte à dix.

ça me fait envie.

Je suppose qu'il y a la profondeur qu'il faut en-dessous. Enfin j'espère.

ça me fait envie, parce que j'imagine que si j'arrivais à sauter du dix mètres, ça exorciserait ces flashs envahissants qui me réveillent en sursaut ou viennent me terroriser par surprise au milieu du jour, où je vois les êtres que j'aime tomber accidentellement de mortelles hauteurs.

J'espère que si j'arrive à sauter du dix mètres ça satisfera quelque chose en moi, qui arrêtera de réclamer que je me précipite dans le vide et de faire hurler l'angoisse dès que je m'approche d'un rebord. J'ai pas envie de mourir, en ce moment. Pas du tout. Mais trois minutes sur un balcon et il faut que je m'éloigne, envahie d'images où j'escalade la rambarde.

Ou alors peut-être que c'est le contraire. Peut-être que si j'arrivais à sauter du dix mètre, ça banaliserait la chute. Peut-être que ça me décomplexerait tellement que je serais tentée de reproduire le truc à une hauteur qui ne surplomberait que du béton. Je me soupçonne parfois d'être d'une stupidité confondante.

Bref, le grand plongeoir. J'hésite encore.

jeudi 14 mai 2015

Gnossienne

Dans la nuit qui voile les formes et développe les odeurs j'ai reconnu le parfum de ses fleurs avant de les distinguer : un paulownia ; et si je connais l'odeur et le nom du paulownia, c'est qu'il y a des années sur une place ma grand-mère avait dit en passant que c'était l'arbre préféré de sa mère à elle, ma bisaïeule, et décrit comme enfant avec ses amis ils ramassaient les fleurs tombées et les enfilaient sur leurs doigts comme des doigts de gants.

Autant que les parfums, je n'oublie pas ces détails-là.

Dans l'odeur douce et funèbre du paulownia, dans la nuit, je porte la mémoire d'une morte qui porte la mémoire d'une autre morte. Lorsqu'à mon tour je m'éteindrai, ces mémoires enchâssées disparaîtront avec moi. Ce n'est pas grave. Ce sont odeurs de fleurs. Mais tant que je respire, tant que je vis, je tiens en moi caché et vivant ce qui patiente dans le parfum des paulownias.