jeudi 9 avril 2015

L'amour du vide

Assise à mon balcon, profitant du soleil et de la vue, et c'est magnifique. Par très beau temps, on voit le Mont-Blanc. Il n'y avait pas encore eu de si beau temps. Et c'est pas juste "Oh, tiens, le Mont-Blanc." C'est très impressionnant, si proche, une méchante chaîne de crocs aiguisés à l'assaut du ciel bleu, encore couverts de neige, fantomatiques et acérés sous le soleil.

Assise à mon balcon et pas tout à fait tranquille. Je ne peux pas m'empêcher de remarquer que mon corps n'est pas posé détendu sur la chaise, mais blotti crispé contre le mur, le plus loin possible de la rambarde en fer et du vide de quinze mètres au-delà. Et que ma peur n'est pas tant de tomber que de me jeter irrépressiblement dans le vide. De même mon écriture sur la page se tasse du côté opposé à la chute.

Assise à mon balcon, profitant du soleil, interrogeant du bout de la pensée mon inquiétude quant à la solidité de ce balcon dont je n'ai aucune raison de douter, et qui pourtant revient avec constance. Mais le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large qu’il ne faut pour marcher à son ordinaire, s’il y a au dessous un précipice, quoi que sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra.

Assise à mon balcon et je me demande, si celui-ci se décrochait,si je serais capable d'éprouver cette expérience comme les montagnes russes des fêtes foraines. J'adore les montagnes russes. La certitude de la sécurité permet de se plonger sans scrupules dans cette sensation folle, enivrante de tomber, tous les nœuds intérieurs se dénouant en jubilation. Mais la certitude de la sécurité n'est-elle pas, dans ses effets, équivalente à la certitude de l'impuissance ? Si je sentais soudain le balcon s'effondrer sous moi, chute inévitable et mortelle avec certitude, le mieux ne serait-il pas d'être capable en un instant de me ressaisir, et de développer assez de détachement pour jouir pleinement de l'expérience ?

4 commentaires:

  1. « Etre capable d'assez de détachement pour jouir pleinement de l'expérience », n'est-ce pas ce que nous nous efforçons de faire au quotidien, alors que la vie nous file entre les doigts ?
    Ce n'est qu'une question d'échelle.

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    1. Oui, exactement ! C'est en le pratiquant au quotidien qu'on se prépare à tomber du balcon sans doute.
      Et j'aime bien cette image de l'échelle (de corde, sans doute) qui nous file entre les doigts.

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  2. Il est possible que mon acrophobie soit similaire à la vôtre. Ce qui me fait peur, ce n'est pas l'altitude mais « la possibilité d'un vide ».

    Pour votre conclusion, je me suis fait très récemment à la faveur d'une sombre actualité cette réflexion : que se passe-t-il dans la tête d'une personne qui sait qu'elle va mourir dans quelques minutes – par exemple parce qu'un copilote dépressif s'est enfermé dans le cockpit ?

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    1. Rah mais l'avion c'est nul, on n'a pas du tout les sensations de la chute dans le vide et une toute petite fenêtre pour admirer le paysage.
      Faudrait voyager par catapulte. Et ce serait plus écolo.

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