dimanche 15 mars 2015

Je ne finirai pas en Sorbonne

Je n'irai pas enseigner à l'université parce que je ne serai pas élue. Et je ne serai pas élue parce que je ne candidaterai pas.

Tu dis que c'est dommage, que je devrais être plus ambitieuse, que je m'auto-limite, tu me pousses.

Mais je ne pense pas que la connaissance soit meilleure, plus pure, plus dense sur les bancs de la fac que dans les salles d'un lycée. Je pense le contraire.

Je sais bien que l'université, c'est plus prestigieux. Certains pensent cela. Je ne suis pas obligée de penser comme eux, ou de gouverner ma vie en fonction du prestige.

Oui enseigner à des lycéens c'est fatigant, c'est exigeant, c'est physique. Devine quoi : c'est ce qui en fait tout le fun. On ne s'use pas moins le visage aux écrans des ordinateurs, bagne contemporain du chercheur, qu'aux couloirs de l'éducation nationale ; on s'y fait seulement des rides plus tristes.

Alors certes c'est piquant d'avoir cette conversation houleuse avec un homme sûr de ses droits, dogmatique, intolérant, agressif. Repérer qu'il fait du langage un usage imprécis, que son argumentation, essentiellement malhonnête, est farcie de pétitions de principe. Apprendre ensuite qu'il a un très bon poste et fait partie du jury d'un concours prestigieux. Savoir d'expérience que ses semblables sont légion. En tirer les conséquences. ça ne fait que confirmer ce que je pensais déjà.

Mais lorsque tu me dis que m'abstenir de poser ma candidature, c'est laisser l'université aux mains des salauds, des héritiers et des patriarches, je te dis : non. Il n'y a pas une université éternelle, libre, pure, égalitaire, dont les places seraient malheureusement occupées par une classe dominante mâle et blanche détournant l'institution de ses buts et travaillant à la reproduction de sa domination : l'université a été créée par cette classe, elle est l'institution de cette classe, elle est homogène à sa structure, et je ne veux pas me mettre dans les chaussures du patriarcat.

Plutôt que d'essayer de prendre des places dans les structures d'oppression il nous faut inventer d'autres places ; d'autres institutions, d'autres lieux de pensée, d'autres notions de prestige.

2 commentaires:

  1. Mais oui, et c'est fort bien dit, bravo, vraiment.
    Malheureusement, pour l'immense majorité des gens, la critique des institutions de prestige ne peut émaner que d'aigris tentant de sublimer leur incapacité à y pénétrer.

    Ne pas vouloir intégrer l'élite institutionnelle... Quand on explique ce genre de chose, on rencontre beaucoup de sourires polis qui n'en pensent pas moins.

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    1. Ce qui n'est pas votre cas, bien entendu ;-)
      Mais oui, il est difficile de sortir soi-même d'un cadre de pensée, alors quand il s'agit d'en faire sortir les autres... Eh bien laissons-les s'en sortir eux-mêmes...

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