mardi 23 décembre 2014

Tuer le père

Tuer le père n'est pas éliminer le géniteur. Ce n'est pas parce qu'on partage la moitié de ses gènes qu'il faut tuer le père. Tuer le père n'est pas tuer celui qui protège - d'ailleurs tous les pères ne protègent pas ; ni tuer le modèle : tous les pères ne sont pas des modèles, ni des anti-modèles.

Alors qui est le père, pour qu'on le tue ?

Le père à tuer est celui qui se juge propriétaire des corps de tous ceux - femmes, enfants, enfants devenus adultes - qui partagent son existence. Il interdit la joie. Il interdit le désir - le sien seul a droit de cité. Il interdit la liberté. Son jugement seul compte.

Je crois que dans tout groupe partageant des liens affectifs peut apparaître, d'une manière ou d'une autre, un tel père. Je crois aussi que chacun de nous héberge un père en lui. Ce père est le nom de tout ce qui emploie son énergie à faire obstacle. Et ce père est toujours à tuer, au moins symboliquement.

lundi 22 décembre 2014

Prochains

Iseult, Jacques-Antoine et leur chaton vivent juste à côté.

Iseult a un prénom précieux de reine nordique, des traits réguliers et un regard étrange. Elle est très gentille, fait l'effort de se rappeler de votre prénom et vous expliquera elle-même qu'elle est handicapée mentale. Elle aimerait bien trouver du travail, et aussi vous inviter à prendre un café. Elle est enceinte de son troisième enfant qui, comme les précédents, sera placé en foyer dès la naissance.

Jacques-Antoine a un prénom clinquant de fils de bonne famille et on n'arrive pas très bien à distinguer si son problème à lui est aussi de handicap mental ou plutôt de toxicomanie sévère. ça n'est pas vraiment possible d'entrer en contact avec lui. Parfois dans la cour il joue de la guitare, plutôt bien, mais l'autre jour la guitare était dans la poubelle, complètement défoncée.

Les prénoms ont été changés, toutes choses égales par ailleurs.

Le chaton est un chaton parfaitement ordinaire.

dimanche 21 décembre 2014

Humeur atmosphérique

Ce matin-là ciel bleu, passage de brouillard, puis soleil à nouveau. Dans le train vers Paris je retrouve le brouillard, et me demande si nous avons rattrapé une nappe glissant vers le nord, ou si Paris en est la source, un cœur de brouillard palpitant qui s'étend, se contracte, recouvre et découvre le pays comme une marée.

mercredi 17 décembre 2014

Anesthésie

Les yeux bandés, renversée sur le lit, j'attendais sagement vos sévices. Un peu tendue, comme toujours lorsqu'on ne sait à quoi s'attendre, de cette tension qui accroît le désir et décuple les sensations.

Mais je n'ai pas senti venir le tampon imbibé d'un liquide inconnu et volatil que vous avez soudain plaqué sous mon nez. Une vague piquante à l'assaut de mes narines, J'ai essayé de retenir mon souffle mais trop tard, les vapeurs m'envahissaient déjà le cerveau.

Docile à l'expérience que vous me proposiez, je m'apprêtais avec terreur et bonne volonté à suffoquer, tomber dans les pommes, me vider de tout mon sang par une large entaille en un lieu de votre choix, être coupée en morceaux, nourrir les quelques poissons survivants de la Seine. Si tel était votre plaisir.

C'était que du poppers, mais je pouvais pas le savoir, j'en avais jamais entendu parler.

Mais la peur avait glacé mes sens et c'est raide, insensible, frigorifiée que je vous reçus, statue de givre qu'aucune caresse ne pouvait plus émouvoir.

jeudi 11 décembre 2014

D'un temps plus long

Ta peau était douce contre mes lèvres, contre mes bras ; ma peau était douce sous tes doigts ; nos baisers des lèvres mordues, des soupirs ;

Debout, comme pour une étreinte furtive, mais furieusement agités nous prenions notre temps, nos jambes mélangées, équilibristes sur un coin de faïence,

Hors d'haleine ; mes yeux ont basculé longtemps dans le plaisir, captant par intermittence ton regard entre mes cils clos, si longtemps j'étais haut, lumineuse, aiguë, criant sur l'onde qui nous joignait, centrale ;

Entre nos pieds, les gouttes de sang tombaient, profondes, merveilleuses, une à une tachant le sol blanc.

mardi 9 décembre 2014

Granitique

Depuis bientôt trois semaines, plus de désir.

Rien ne passe. Plus de vie en ce lieu. Pas un frémissement dans le delta de mon intimité.

Aucune de ces idées qui naguère m'égayaient n'arrive à éveiller mes envies.

Même ton beau visage, le désir a glissé dessus comme à la surface d'un lac gelé.

Rien ne descend jusque là en-bas. Tout reste et meurt au niveau de la poitrine.

Entre les deux, ce bloc noueux d'angoisse et de dégoût bloque toute circulation.