samedi 29 novembre 2014

Fantaisie rouge

Je suis retombée dessus par hasard. Dans un pays lointain, chez des amis d'amis. Il y avait dans une pile dépareillée cette assiette décorée d'une scène du Petit chaperon rouge, le loup surgissant de derrière un arbre. J'avais la même assiette enfant, mais je l'avais effacée de ma mémoire. Elle est revenue d'un coup. C'était la même exactement ; le même dessin malhabile, assez laid mais attachant, un chaperon joufflu et blond effrayé par pure convention, et le loup comme un gros chat débile tirant la langue, l'air bien sympathique finalement.

ça m'a mis un coup, l'irruption de ce motif intensément familier alors que je me croyais loin de tout. ça m'a mis un coup, parce que : cela fait des années que le conte du chaperon rouge est un motif important pour moi, mais je ne me souvenais pas que cela faisait si longtemps.

Or que dit-il, ce fantasme du loup - ce loup brun, chaud, velu, neuf, mystérieux ? Bien sûr, Chaperon rouge est attirée par le loup. J'ai longtemps lu ce motif comme quelque chose d'assez valorisant - l'attrait du danger, de l'aventure. Mais par quoi est-elle attirée ? Que propose le loup ? Le loup aime le Chaperon. Comment le sait-on ? Eh bien il veut la manger.

Le loup, c'est celui qui prouve son amour en détruisant ce qu'il aime.

Ai-je ceci au fond de moi - l'idée que la seule vraie manière de m'aimer, c'est de me détruire ?

mardi 25 novembre 2014

Eloge de l'eau

La théorie des humeurs, qui plonge ses racines bien avant Hippocrate, dans la haute antiquité grecque, explique et symbolise les caractères humains par quatre humeurs (bile jaune, bile noire, sang, lymphe) dont la proportion conditionnerait aussi bien l'équilibre du corps que celui de l'esprit. Ces quatre humeurs se répartissent sur deux échelles croisées, l'une allant du froid au chaud, l'autre du sec à l'humide.

Les quatre tempéraments ne sont pas de valeur égale cependant. Le tempérament sanguin est considéré comme le meilleur. Ultra stable, il vous assure santé, force, esprit et joie. Le tempérament bilieux, pas aussi équilibré, fait néanmoins de vous un esprit vif. Le tempérament mélancolique, bien que maladif, est associé depuis Aristote à la créativité. Le tempérament lymphatique, enfin, est le tempérament de la louse : souvent malade, lent d'esprit et de corps, le lymphatique manque globalement d'énergie.

Etudier ces choses rend malade. Ou plutôt : je ne connais pas de chercheur qui, ayant étudié la théorie des humeurs, n'ait cherché à lire son propre caractère à travers cette grille. Non sans orgueil souvent : je me souviens de ce collègue qui me confiait qu'il correspondait trait pour trait au tempérament mélancolique. Ben voyons mon lapin. Comme par hasard, le tempérament de l'homme de génie. On ne se mouche pas du coude, hein.

Moi, je me reconnais dans le tempérament lymphatique. Mais ça ne veut pas dire que je suis nulle. Je trouve le tempérament lymphatique injustement décrié. Les lymphatiques se posent. Ils écoutent longtemps avant de parler. Ils vont au fond des choses comme la pierre au fond de l'étang, inexorablement. Ils contemplent. Ils attendent. Nombreuses carpes centenaires évoluant lentement dans l'ombre sous la surface du lac de leurs yeux. Le tempérament lymphatique a pour élément l'eau. Froide, mais ouvrant à d'autres univers. Impassible, mais le moindre effleurement y crée des ondes. L'eau est dense, pérenne, impossible à briser. Sa lenteur est sa puissance. Sa profondeur est abyssale. L'eau englobe, absorbe, comprend.

dimanche 23 novembre 2014

Touche

Une femme t'a dit récemment paraît-il que tu étais quelqu'un de trop froid. Je ne suis pas d'accord. Il y a tant de braise au fond de tes yeux sombres. J'en suis chaque fois consumée.

Ta lèvre inférieure qui avance légèrement, j'ai envie de la mordre. Mais gentiment, je t'assure. Tu aimerais.

Ce truc que tu m'as chuchoté à l'oreille pendant le concert, j'ai pas du tout écouté ce que tu disais, tant j'étais happée par les sonorités de tes mots - j'étais sûre que c'est la voix avec laquelle tu jouis. Et ton mouvement pour te pencher vers moi, je l'ai halluciné se prolongeant pour m'embrasser dans le cou. Cela n'a pas eu lieu, j'ai pourtant frissonné de la tête aux pieds. J'imaginais le contact rugueux de tes lèvres sur ma peau sensible.

De tous ces éléments discrets que je peux saisir sans indécence - une main sur ton épaule, des regards croisés, la ligne de ta mâchoire, un peu de ta peau dévoilée pour d'innocentes raisons - je me compose ce que ce serait de faire l'amour avec toi. Dans le secret de mon cinéma intérieur je baise subrepticement avec chacun de ces détails volés. Mais l'effet, crois-moi, en est si intense que cela me donne envie de savoir quelle tornade, quel ouragan ce serait de me frotter à toi tout entier réuni.

vendredi 14 novembre 2014

Tout vouloir

Tu veux tout. Tout ce que je veux aussi. Les nuits fauves, les amants, les amantes, le partage, la confiance, la fluidité. Les rencontres, les caresses comme des découvertes, le plaisir qui se multiplie d'autrui. Les perversions, l'exploration, trouver de nouvelles voies du désir.

Mais pas avec moi.

Tu veux que l'on soit libres, mais chaque fois que passe la possibilité d'un amant pour moi tu te tords de douleur.

Tu veux exactement ce que je veux. Un réseau de liberté et de bienveillance, où le désir serait comme l'amitié, source d'eau fraîche désaltérante et parfois flamme intérieure, qui jamais ne brûlerait. Un lieu où donner sans prendre.

Mais tu le construiras sans moi. Tu ne me veux pas dedans.

Je ne comprendrai jamais ce que j'ai fait pour cela.

Tes raisons sont obscures.

La seule chose que je peux comprendre, c'est que : tout cela, que tu veux vivre, et que j'aimerais vivre avec toi, toi, tu ne veux pas le vivre avec moi.

Tu ne me veux pas.

C'est douloureux.

Mais après tout, même si dans tout ça j'ai l'impression que tu te fous un peu de ma gueule, à crier de douleur à l'évocation de mon plaisir lorsqu'ailleurs tu construis le tiens, je suis contente pour toi. Contente si ailleurs tu cherches de l'or ; si tout cela que tu veux vivre, tu le peux, même si c'est sans moi.