jeudi 30 octobre 2014

Manuel d'Eprisedetete

Tu me demandes, ami, comment convaincre ta femme de la grandeur et de la sincérité de ton désir pour elle.

Si elle ne se désire pas elle-même, tu n'y arriveras pas.

Si elle ne te désire pas, tu n'y arriveras pas.

Si tu ne te désires pas toi-même, tu n'y arriveras pas.

Et si ces trois conditions étaient remplies, tu ne viendrais pas me poser cette question, car la convaincre de ton désir ne poserait aucunement problème.

mardi 28 octobre 2014

Célébration

C'est en détachant mon vélo au sortir de la réunion que j'ai remarqué le brouillard. Et là, impossible de rentrer chez moi : il me faut foncer dans le brouillard à vélo dans la nuit.

Prendre n'importe quel chemin. Celui qui se présente. Celui que je connais le mieux. Le but n'est pas le but, mais le chemin : profiter du brouillard. Ce chemin que je prends presque sans y penser me mène chez vous, mes amis, qui à cette heure dormez je l'espère : je ne vous dérangerai pas. Il mènerait aussi à ta petite maison planquée sous les arbres ; mais ce n'est pas ce soir encore que je débarquerai chez toi à l'improviste, pour voir.

La dynamo chante avec douceur, le phare promène devant moi un pulsant pinceau.

Les pistes où je m'engage sont un magnifique tunnel de brouillard.

Mon sourire devient extatique. En passant je fais des high-five aux branches pendantes des arbres.

Il faut me refréner. Je ne sais jusqu'où j'irais, emportée par mon brumeux délire.

Mon culte n'est pas solaire. Il est de la brume fraîche et dense qui invite au jeu, adoucit, enveloppe et fait du monde un secret.

vendredi 24 octobre 2014

Commerce inéquitable

Le club était, comme on dit, "select". Du moins d'après son site : beaucoup d'exigences pour y être admis, entrée onéreuse.

Les femmes étaient belles. Les femmes étaient belles et leurs compagnons moins, beaucoup moins, au point que j'ai rapidement eu cette impression pénible qu'il ne s'agissait pas tant de payer l'entrée en argent qu'en apportant chacun sa femme-trophée pour avoir accès à celle des autres.

Les femmes étaient belles et les hommes vieux, ou mal entretenus, ou louches ou déplaisants. Aucun n'a éveillé mon envie. Je n'ai eu de désir que pour des femmes, car même les plus vieilles assumaient qu'elles étaient là pour éveiller le désir. Aucun des hommes présents n'avait l'air de considérer qu'il avait à éveiller quoi que ce soit.

Il y avait cette femme d'une cinquantaine d'années qui m'a effleuré la cuisse, ses doigts étaient d'une douceur de soie. Mais mes compagnons n'en voulaient pas, je lui ai dit non. Je l'ai regretté.

Il y avait ce beau couple. Pardon : la femme était belle. L'homme n'était pas repoussant. Pas échangistes, mais mélangistes : caresses, pas de pénétration. Le sexe de monsieur était minuscule et refusait la comparaison.

Les rares hommes attirants étaient verrouillés par leur compagne. On n'y touchait pas. Ils ne touchaient personne. Impossible de croiser leur regard, statues de glace. Ces couples partaient rapidement après avoir peu maté.

Et surtout les hommes ne faisaient rien entre eux. Les femmes entre elles oui ; mais les hommes ne se touchaient pas, ne se caressaient pas, évitaient à toute force le contact du corps de l'autre. Là encore, ils refusaient d'exister comme objets de désir.

Pourquoi venir en club libertin si c'est pour trouver l'air surchargé de préjugés et de stéréotypes ? Ce n'était pas mon érotisme. En rien de temps je m'y suis asséchée.

jeudi 23 octobre 2014

L'exercice de ta violence

Cette violence psychologique qui a cessé il y a peu. Cette violence que tu as exercée sur moi des années durant. Cette violence que j'ai subie sans m'enfuir. Cette violence que je n'ai pas eu la force de refuser. Cette violence dont je me persuadais sans cesse que j'en étais la cause, que je l'avais méritée. Cette violence que je passais mon temps à oublier. Au point que j'avais, que j'ai toujours du mal à m'en souvenir.

Ta violence, elle avait certainement en toi des racines profondes, intimes, tu vivais les causes de ta violence comme quelque chose d'unique et très personnel, n'ayant rien à voir avec une culture, une logique d'ensemble.

Mais moi, non. Moi, vois-tu, je nous trouve des choses en commun avec les statistiques sur les femmes battues. Moi, vois-tu, j'ai ressenti ta violence comme faisant partie d'un plus vaste système où l'homme considère la femme comme une chose qui lui appartient et la punit lorsqu'elle manifeste son indépendance. C'était peut-être pour des raisons très intimes, mais chaque moment de ma vie te revenait de droit, et c'est lorsque j'enfreignais ce droit que s'exerçait ta violence.

Et donc ta violence s'en est allée. Tu ne me maltraites plus. Mais si ta possessivité est toujours là, selon moi, la violence est seulement cachée dans son dos.

dimanche 19 octobre 2014

Les drôles (2) : introduction à la drôlesse

Et pourtant si je veux étudier ce domaine du savoir de ce siècle éloigné, il faudra bien en passer par les écrits de vieux mâles imbus de leur supériorité. Je ne peux pas étudier la même chose en privilégiant les écrits féminins, car d'écrits féminins, dans ce domaine, à cette époque, il n'y en a pas.

Une solution serait peut-être de choisir un autre objet d'études : ce domaine, cette époque me semblent intéressant, mais n'est-ce pas un biais de mon éducation ? Pourquoi ne pas choisir de mettre en lumière des périodes ou des aspects moins exclusivement phallocrates de l'histoire ?

Ou alors prendre ma place dans mon siècle et en faire quelque chose d'intéressant. Après tout, je ne suis pas que mes études ; et quand bien même ce serait le cas, femme, faire de longues et sérieuses études dans ce domaine pointu et encore aujourd'hui très majoritairement masculin, c'est aussi changer la condition des femmes.

vendredi 17 octobre 2014

Casting

Il faut se rendre à l'évidence : le casting de ma vie sexuelle ne passe pas davantage le test de Bechdel que le pire blockbuster hollywoodien. Le casting de ma vie sexuelle est plein de préjugés. Le casting de ma vie sexuelle est hyper ethnocentriste. Le casting de ma vie sexuelle représente rien du tout. Le casting de ma vie sexuelle craint à mort.

Pas un P.O.C. à un rôle important. Pas de P.O.C. tout court d'ailleurs. Même pas un peu, même pas de loin. Le casting de ma vie sexuelle est blanc comme un cul. Comme un cul blanc, en tous cas.

Très très peu de femmes, et dans des rôles tellement secondaires que ça vaut même pas la peine d'en parler.

Evidemment y'a aucune personne LGBT (même si toi t'es un peu queer, mais bon t'es quand même vachement homme et vachement blanc surtout).

Y'a pas non plus une seule personne avec un handicap.

Y'a bien ce jeune homme moitié japonais qui est en fauteuil roulant maintenant mais à l'époque il l'était pas, et puis on a guère fait que se rouler des pelles ados, et c'est dommage sinon il aurait aussi pu compter comme P.O.C., j'aurais fait d'une pierre deux coups.

Je trouve ma vie sexuelle très très peu ouverte d'esprit. Y'a comme un gros biais dans le casting de ma vie sexuelle. Va falloir que je veille sérieusement à l'égalité des chances dans ma vie sexuelle.

Les drôles (1)

Ces vieux livres, écrits par de vieux savants depuis longtemps poussière. Leurs livres, eux, ont été soigneusement conservés, et aujourd'hui je les lis. Je suis peut-être la première depuis longtemps. Nous n'avons pas été nombreux ces derniers siècles à nous intéresser à ces auteurs. Pourtant aujourd'hui je les lis, ils vont faire l'objet d'un travail universitaire, et j'ai dans l'idée de montrer leur intérêt. Exhumer ces vieilles pages de leur sommeil poussiéreux et leur redonner vie à la lumière.

Mais quelque chose me gratte.
Ces vieux savants, si leurs écrits sont intéressants, c'est parfois parce qu'ils sont d'une colossale absurdité.
Si leurs ouvrages ont été conservés, c'est qu'ils étaient, en leur temps, des sommités.
A l'époque où ils écrivent, aucune femme n'aurait pu exercer leur métier, encore moins avoir leur statut.
De lourds traités écrits par de vieux imbéciles, donc, et qui ne doivent leur pérennité qu'au fait que leurs auteurs sont des hommes.

En choisissant de les étudier, ne suis-je pas le dernier maillon en date de la longue chaîne de ceux qui ne considèrent comme intéressants que les écrits des vieux mâles blancs hétérosexuels ?

Ou plus simplement : pourquoi consacrer mon énergie à faire survivre l'oeuvre des mâles, toujours des mâles ?

Me voici pour trois ans les deux mains dans l'injustice des siècles.