lundi 28 juillet 2014

Atlas mother

Au fond tu avais raison lorsque tu jugeais mon attitude humiliante.
Pas pour les motifs que tu avançais.
Mais j'ai eu pour toi, un peu, des sentiments maternels.
Oh, rien que de très louable : j'ai eu envie de t'aider, de te protéger, je me suis inquiétée pour toi.
Mais tu es un homme adulte, pas un chat perdu. Alors tu as raison de te sentir blessé. Car par ces sentiments maternels je te mets en minorité, je te juge inapte à agir par toi-même, je nie ton libre-arbitre.
Si je veux prendre le monde sur mes épaules, n'est-ce pas que je le crois incapable de se tenir debout seul ?
Si je crains de faire du mal, n'est-ce pas que je le juge vulnérable ?
Si je veux être cohérente dans mon désir de n'être pas mère, il est temps de laisser aller.
Coupable, toujours coupable la mère, même lorsqu'elle n'est mère de rien.
Pitié pour les mères.

dimanche 27 juillet 2014

Du refus

Depuis que j'ai commencé à faire moi-même le premier pas, je prends contact avec cette réalité que : beaucoup d'hommes ne veulent pas de moi. Pour toutes sortes de raisons.

Parce qu'ils respectent un principe de monogamie dans leur couple.
Parce qu'ils ne comprennent pas qu'étant moi-même en couple, je puisse ne pas être monogame.
Parce qu'ils sont mal à l'aise avec une femme qui exprime ouvertement son désir.
Ou tout simplement parce que je ne leur plais pas : ça arrive.

Je n'aurai jamais accès aux raisons profondes de leur refus. Parce qu'ils ont le droit de ne pas vouloir les exprimer, ou de cacher les véritables. Et qui suis-je pour exiger des justifications ? Qui serais-je si je discutais ? Un non est un non. Ton refus est pour moi sacré.

Je suis une femme. Je n'ai pas l'habitude d'être refusée. Mais c'est simplement que je n'ai pas l'habitude de demander, d'initier la rencontre. Ces refus nombreux font partie du roman d'apprentissage de n'importe quel homme, dans notre culture où l'on considère que l'homme doit faire la demande. Et de ces refus j'apprends qu'ils ne sont pas négatifs, mais porteurs de vie. Ils me sortent de la douloureuse incertitude. Ils soulagent la tension de l'attente. Me font faire l'expérience de la belle liberté de l'autre. Me rendent la mienne en me permettant de me déprendre. Et dès que j'ai montré mon désir, cela devient pour moi plus facile, puisqu'alors la balle est dans ton camp, ce n'est plus de ma responsabilité, à toi de te débrouiller avec cette petite bombe que je te lance.

Ce parcours, je l'entame si tard, il m'a fallu si longtemps, vingt ans pour comprendre que je pouvais, moi aussi, initier la rencontre, que je n'étais pas obligée d'attendre passivement que l'on me cueille, que je pouvais moi aussi choisir, même si cela implique évidemment dans ce cas la possibilité du refus, et je chéris ce refus puisqu'il est le signe que j'ai osé, que j'ai eu le courage de me découvrir.

Ainsi en disant simplement tu me plais je joue contre deux clichés à la fois.
Celui qui voudrait que les femmes aient moins de désir que les hommes.
Et celui qui prétend que les hommes, mûs par leur appendice génital, ne sauraient pas dire non à une partie de plaisir offerte.
C'est loin, très loin d'être le cas.

vendredi 25 juillet 2014

La faïence et l'angoisse

A certaines périodes c'était tout les jours, ou même matin, midi et soir. Mais en général, plutôt une ou deux fois par semaine. Il y avais comme un seuil. Je venais de manger - un peu trop, mais pas forcément, et si c’était le cas, pas non plus déraisonnablement : juste un peu dépassé mon appétit, ou pris une nourriture riche. Mais à un moment je prenais distinctement conscience que je n’allais pas y échapper. Que nourriture que j’avais déjà absorbée m’était insupportable, que je n’allais pas réussir à la garder dans mon estomac.

Alors je commençais à absorber de grandes quantités de nourriture. Vraiment très grandes, tu n'imaginerais pas. Jusqu'au malaise, à la nausée, au dégoût. Les nourritures les plus riches. Tout ce qui était dans mes placards. ça m'est arrivé d'aller faire les courses spécialement pour cela. J'achetais alors tous les aliments habituellement interdits. Des bombes caloriques. Ceux qui déclenchaient à coup sûr une crise si je me les autorisais en temps normal.

Il y a des aliments dont je n'ai plus pu manger pendant des mois ensuite. D'autres dont le dégoût dure encore, seize ans plus tard. Car tout cela était destiné à finir dans les chiottes. A repasser la porte de mes dents. Après avoir été mâché, à être vomi. Reconnaître au second passage le goût des aliments que j'avais absorbés était une expérience abominable.

A genoux devant les toilettes, je me faisais vomir avec toute cette application, toute cette ténacité dont je suis capable. Comme un accouchement à l'envers, je déclenchais de formidables contractions qui me tendaient tout le corps, sollicitant chaque muscle vers le rejet. Tu n'imagines pas ce que ça demande de force et ce que ça me laissait comme courbatures, le corps entier en souffrance. Entre deux efforts, je regardais mon ventre nu dans la glace en pieds pour voir s'il avait désenflé. La boulimie pour moi mimait une grossesse et un avortement. Ventre gros, ventre plat. Je suivais sur la balance les progrès du vidage. Jusqu'à être complètement à jeûn. Brossée de l'intérieur.

Ma dernière crise de boulimie remonte à plus de sept ans. Sur le moment je ne savais pas que c'était la dernière. Elles ont cessé lorsque j'ai pris conscience que ce n'était pas la nourriture le déclencheur, mais l'angoisse en amont. A l'époque, cette angoisse, je ne la sentais pas monter en moi. Je la vivais à travers ces crises.

Aujourd'hui je n'ai plus la médiation de la nourriture - absorption, rejet - pour s'interposer entre mon angoisse et moi. L'angoisse, je la vis à présent en prise directe, sans écran. J'ai appris à la reconnaître. Je sais quand elle monte, quand elle est là.

Je n'ai plus la possibilité de l'évacuer dans les chiottes avec le contenu de mon estomac distendu. A présent je dois faire avec : la vivre jusqu'au bout, faire cette expérience de l'angoisse, suffocante, hallucinatoire, des heures durant, parfois des jours. Elle partira quand elle partira. En parler à un ami aide. Les amis ne sont pas toujours là. Je fais avec l'angoisse. Je reste chez moi, pestiférée, craignant de faire du mal à tous ceux que je touche. Je goûte l'angoisse, je la déguste, je l'explore à fond. Elle est pour moi liquide, noire et amère : comme la bile. Je crois meilleur de la connaître que d'agir sous son emprise sans la reconnaître.

J'ai définitivement laissé la boulimie derrière moi, et avec elle j'ai perdu cette possibilité de me débarrasser de l'angoisse par la violence, par ces crises qui me laissaient anéantie de fatigue, stupide, vidée de toute force pour un ou deux jours. Je restais là, étendue, inerte, je n'étais plus capable de rien. J'en avais fini avec moi.

mardi 22 juillet 2014

Fléché

Tu me dis que tu es incapable de savoir si un homme est beau ou non. Qu'en tant qu'homme hétérosexuel, tu es comme aveugle à la beauté masculine : pour toi, aucun homme n'est plus beau qu'un autre. Tu refuses d'entrer dans toute discussion à ce propos.

Et je dis : homophobie bien sûr, mauvaise foi, mensonge à coup sûr (ne te permets-tu pas de trouver certains hommes bien laids ?).

Pourtant cela ne te choque pas, je pense, et tu trouves normal que femme, lorsque je mets les pieds dans un musée, je sois sommée d'apprécier la valeur esthétique du nu féminin.

Mais toi non ? La valeur esthétique du nu masculin, tu t'en coupes, ainsi que d'une bonne part de la peinture classique alors : es-tu donc meilleur que Michel-Ange ou que Léonard de Vinci pour refuser toute beauté à leurs mâles modèles ? Et une montagne, et un navire, es-tu incapable d'en voir la beauté aussi ? Ne la reconnais-tu que lorsque tu veux te la faire ?

Refuseras-tu de soupirer avec moi au sensuel supplice de saint Sébastien l'adorable, corps trouble d'adolescent évoquant l'homme et la femme et plaisant à tous deux - la beauté n'a pas de sexe, tu te coupes de la moitié de ton plaisir...

lundi 21 juillet 2014

Toutes les Judith, les Salomé

Dans ce musée à chaque salle on butait sur ces femmes dansant en brandissant une tête coupée sur un plateau. Autre légende, même histoire, symbole de la femme séductrice et cruelle qui, par le caprice de son pied léger, fait tomber le grand homme.

Mais ces tableaux sont peints par des hommes, inspirés d'histoires par des hommes racontées ; si l'on écoutait la parole des femmes, et si par des femmes elle était mise en oeuvres d'art, les musées ne seraient-ils pas emplis de jeunes hommes mutins et gracieux cabriolant autour de fortes femmes décapitées en leur nom ?

Aussi ces tableaux ne nous disent-ils rien sur une soi-disant nature perverse de la femme, mais sur la nature du désir lorsqu'il n'est partagé ; car par ton refus tu me crucifies, tu me saignes, tu m'abats, et c'est une douleur que je ne voudrais m'épargner.

Plus belle que d'essayer de forcer ton refus.
Plus belle que d'en concevoir du ressentiment.
Plus belle que n'avoir rien senti.

samedi 19 juillet 2014

Ensemble

Louie et moi ne couchons pas ensemble.
Nous nous regardons dans les yeux une seconde de trop, et les détournons dans un sourire.
Louie et moi n'échangeons pas d'avides baisers. Ne mêlons pas nos soupirs.
Nos doigts passent légèrement sur la peau de l'autre lorsque nous nous faisons la bise, juste un peu, juste un peu trop.
Nous ne crions pas de plaisir ensemble. Aucune main posée sur la nuque ne remonte en se glissant à travers les cheveux. Jamais mon corps nu entier étendu contre toute la longueur de son corps.
Lorsque nous sommes seuls tous les deux c'est assez rapidement bizarre.
Louie et moi nous n'échangeons pas de vibrantes caresses. Nous n'étanchons pas notre soif au corps de l'autre.
Nous avons les mêmes goûts. Nous nous ressemblons comme frère et sœur. Nous nous rencontrons sur une quantité de choses incroyable.

Nous sommes timides et attirés.

vendredi 18 juillet 2014

Et les dents qui scintillent

Nous filons à vélo à travers la campagne, je te suis avec béatitude.
Non pas comme mon seigneur et maître, mais comme : celui que je vais manger.