samedi 9 novembre 2013

Le poids des femmes

Je pèse 65 kilos.

Plus ou moins. Peut-être. En gros. La vérité, c'est que je ne me pèse pas. Mais je dois faire ça, à peu près. 65 kilos. Depuis des années.

Je le dis sans pudeur, car je ne vois pas en quoi mon poids serait une question de pudeur. Je ne minauderai pas. Je ne prétendrai pas qu'on ne pose pas cette question. Comme mon âge. Car : c'est un chiffre ; cela ne dit rien de moi.

65 kilos, cela ne dit rien de la forme de mon corps, s'il est beau ou laid, attirant ou non. Même si j'y ajoute ma taille, mon IMC, le périmètre de mes différents étages. Chiffres inventés pour que je m'en inquiète. Mais : des chiffres. Ils ne disent rien de moi. Je n'ai pas à les cacher.

Ils ne disent rien de qui je suis. Je suis et je ne suis pas mon corps. Mais quoi qu'il arrive, je ne suis pas mon poids.

Et si tu es tenté de dire "ah oui quand même !" ou "on dirait pas !", demande-toi. Demande-toi pourquoi moi que tu connais, que tu as pu observer habillée, que tu as peut-être vue nue, moi qui peut-être t'ai plu, soudainement, lorsque tu sais le chiffre, je te plais moins. En pensant à mon corps, tu pensais à d'autres chiffres, et ces chiffres te plaisaient. Ce chiffre-là, non. Il te dérange. Alors demande-toi pourquoi un chiffre change mon corps à tes yeux. Pourquoi certains chiffres t'excitent et d'autres te choquent. Pourquoi tu poses ainsi un plafond chiffré à ton désir. Car ce sont des questions qui te concernent. Pas moi.

Pourquoi moi, femme, devrais-je avoir honte d'un chiffre ? J'ai passé des années à me tourmenter pour cela ; à manger en fonction des chiffres sur ma balance le matin ; à essayer de tirer ces chiffres vers le bas, un peu plus, encore un peu plus ; à rougir d'une décimale.

C'est du passé. Je pèse mon poids. J'ai le droit d'être là. Tout entière. Aucune partie de moi n'est de trop.

Pourquoi poser une limite haute au poids que j'aurais le droit de faire ? Il faut être en-dessous. Toujours en-dessous. En-dessous, c'est fierté. Au-dessus, c'est honte. En-dessous de quoi ? Qui pose cette limite ? Et comment ? Je ne parle pas de santé. La santé n'est là qu'un prétexte, quelque chose que l'on se raconte. Chacun sait bien que ces histoires de poids, cela n'a rien à voir avec la santé. Car ce sont essentiellement des femmes en bonne santé qui se tourmentent sur leur poids.

En cherchant à me faire honte avec mon poids, tu me disputes mon droit à être là.

Alors ne t'étonne pas si, lorsque la conversation sinue près ce ces rives, c'est un peu par provocation que je le dis : je pèse 65 kilos. Sans excuse, sans honte et sans justification. Car je voudrais que ce soit un fait, aussi neutre que l'heure.

Je ne fais pas semblant de ne pas vouloir le dire pour obéir à une convention qui me fait tort. Je ne mens pas sur mon poids, pas plus que sur mon âge. J'en parle de façon directe et franche. A toi de te débrouiller avec.

Cela te surprend. Mais accepter sur ces sujets une feinte coquetterie, ce serait admettre que je n'ai le droit d'exister que dans la mesure que l'on veut bien me donner.

Je ne cèderai pas un seul gramme de ce droit-là.

dimanche 27 octobre 2013

Tu m'inspires

Tu m'inspires des pensées douces et brûlantes. Tu m'inspires des envies interdites. Tu m'inspires des phrases mal rythmées - non que tu sois mauvais comme muse, mais je ne suis pas une grande poète.

Je ne pouvais détacher mes yeux de ton beau visage hiératique, tes yeux profonds, tes lèvres sinueuses. "J'ai envie de t'embrasser" - combien de fois ai-je hésité à prononcer cette phrase, tout au long de la soirée ? Peur - tu es si pudique, si réservé - de t'embarrasser encore plus, que, de frileux, tu deviennes glacial.


Pourtant, je ne te voulais que douceur. Douceur sur tout ce qu'il y a en toi d'escarpé. J'aurais suivi d'un doigt attentif tes pommettes saillantes et l'arrête de tes joues creuses ; qui ne dit mot consent, j'aurais, du dos de l'index, souligné tes lèvres avant de les effleurer d'un baiser léger, si léger qu'il en aurait appelé d'autres, j'aurais aimé te sentir y répondre. Une autre fois peut-être explorer ton corps interminable, mais ce soir-là, non, un baiser m'aurait suffi, te sentir contre moi, abolir soudain cette distance qui persiste, irritante, entre nos épidermes, mon coeur en aurait fait des bonds toute une semaine.


Depuis si longtemps je contemple ta beauté, sans oser te toucher. Ta beauté interdite, car fragile. J'ai peur de te briser, alors je contemple à distance. Ta beauté interdite, car j'ai eu autorité sur toi, alors, même si c'est de longtemps fini, oserais-tu refuser, si tu ne désirais pas ?


Je sens l'ascendant que j'ai et refuse de m'en servir, comme d'une arme non-conventionnelle. Tu m'inspires le respect.

lundi 29 avril 2013

Dans votre vie

Que vous est-il donc arrivé ?

Est-ce moi qui, depuis, ai fréquenté tant d'hommes aimables, intelligents et cultivés que vous en devenez négligeable, alors que vous aviez brillé d'une aura divine dans le désert où je vivais alors ?

Ou bien est-ce l'alcool dans lequel votre neurones ont continué de mariner, sept années de plus depuis que nous nous sommes connus, qui fait de tels dégâts ?

La porte est fermée ; mais peut-être me fallait-il vous revoir ainsi déchu pour enfin raconter, savoir que véritablement vous n'existez plus tel que je vous ai connu pour pouvoir renouer avec ces souvenirs, pour me replonger dans ce que j'ai su de vous, vous à qui je renonce par nécessité, vous dont je fais mon deuil, vous qui avez disparu derrière le fantôme et la caricature de vous, vous qui êtes à jamais hors d'atteinte à présent.

Kiasm

Voyez comme c'est étrange.
Je vous ai cédé car je craignais, si je ne cédais pas, qu'il n'y ait pas de second rendez-vous.
Et c'est précisément parce que je vous ai cédé que je n'ai plus envie de vous revoir.

lundi 11 mars 2013

Le mal

Vous revoir après toutes ces années, c'est étrange.

Toutes ces années à rêver votre visage, et pourtant, si je n'ai pas hésité une seconde à vous reconnaître, combien différent de mon souvenir.

Vous êtes beaucoup plus laid. Un peu ridicule, même. Je retrouve mes premiers sentiments pour vous, qui avaient ensuite été ensevelis sous l'idolâtrie.

Assez laid et pourtant troublant. Je ne me défais pas du souvenir de vos lèvres.

Votre bouche étrange, trop étroite, vos yeux si petits, gris et rapprochés, opaques, tout cela comme un visage minuscule perdu dans votre visage trop large et carré.

Depuis trois jours je scrute mon visage, mes yeux gris, mes imposants maxillaires, certaines expressions de ma bouche, j'observe mes traits avec inquiétude, crainte d'y voir quelque chose de vous - comme si vous étiez contagieux.

samedi 9 février 2013

Ton parfum me nargue

Dans le coin supérieur gauche de ce grand coussin contre lequel tu t'étais assis en tailleur, ton parfum me nargue.

Doux, puissant, boisé, il reste à me guetter, me tourmente, m'attire, passive et les yeux clos, pour te sentir encore sur le tissu. J'inspire et tu es en moi, dans mes poumons. Ton parfum me brûle. Pas seulement le souvenir du plaisir. L'angoisse et la douleur s'y mêlent.

Captivant et pourtant si poignant.

Ton parfum me nargue d'une façon un peu choquante, me rappelant, autant que l'obsession de ton grand corps fort et doux, tout ce qui, depuis, a été détruit. Obscène, il me parle de désir, de pudeur vaincue, de peaux satinées et de regards brûlants comme l'enfer, et je lutte contre la nausée qui me saisit quand tous ces souvenirs ne sont plus pour moi que douleur lancinante.

Ton parfum me nargue, sournois, indiscret, dans un endroit étrange, comme si tu t'étais parfumé l'épaule droite, mais pas la gauche. Je pense que c'est lorsqu'entre nous tu t'es laissé glisser de côté, vaincu par le plaisir, gémissant, fermant les yeux, lorsqu'enfin tu t'es rendu, tu t'es laissé emporter par les caresses dont nous t'accablions, comme capté par les sables mouvants.

Le souvenir des doux tourments dont nous te possédions, ton visage abandonné au rêve du plaisir, à demi enfoui dans les plis de ce coussin où à présent ton parfum me nargue, ce n'est pas un si bon souvenir, à présent que tu vis, au loin, cette incroyable et constante torture.

Le plaisir si vite a fait place à ces cendres froides.

Depuis hier, ton parfum n'est plus si puissant. Je ne peux plus t'atteindre. Bientôt il ne restera plus rien de ces moments d'ivresse que notre peine à tous, tous également souffrant, mais plus rien ne nous unit, chacun portant sa peine singulière.

samedi 19 janvier 2013

Corset

Vous m'aviez prise en travers du lit, et ce jour-là, au lieu de jouir en moi, vous aviez joui sur ma poitrine. Les gouttes étaient tombée chaudes et lourdes sur ma peau. Et puis, de vos longues mains délicates, vous les aviez étalées sur les seins, les épaules, le cou, vous attardant à me masser avec ce baume.

Vous êtes remonté doucement autour de mon cou et vos mains le serraient, glissant sur ma peau. J'en sentais la pression calme, de plus en plus puissante, et je m'y abandonnais. Vous étiez au-dessus de moi, sombre et illisible. Je fermais les yeux, je m'offrais à votre étranglement. J'y trouvais une étrange volupté. Vous abolissiez peu à peu mon souffle. S'il vous plaisait de me faire mourir ce jour-là, j'y consentais et me proposais même d'y trouver du plaisir. Vous me possédiez.

Vos mains se sont desserrées. J'étais, je crois, fort rouge.

J'ai longtemps gardé sans le laver, sous une pile de linge, le corset que je portais ce jour-là, auquel votre corps avait imprimé sa divine odeur. Plusieurs fois le jour j'allais la respirer avec vénération.