samedi 16 juin 2012

Insinué peu à peu

Pourtant la première fois que je vous ai vu je ne vous avais pas trouvé bien remarquable. Rien de positivement laid, mais rien qui puisse expliquer cette brûlante vénération que j'ai eue pour vous par la suite.

Ce n'est qu'un peu plus tard que j'ai appris à apprécier votre nez un peu long, vos yeux petits et enfoncés, votre front pas très haut que ne servait pas votre étrange coupe de cheveux, votre bouche grise de vieillard desséchée par l'abus de tabac.

Le premier jour - et le second aussi, je crois - vous étiez mal éveillé au milieu de l'après-midi, perdu dans les brumes de l'alcool, et l'odeur de votre corps m'avait paru étrange.

Vous étiez arrogant et brutal en mots. Vous preniez plaisir à m'humilier. Cela m'allait. Cela faisait partie du jeu. Les insultes en étaient les ornements. Vous étiez dur, sévère avec moi, égoïste : tout vous était dû, je n'avais aucun droit. Cela aussi faisait partie des règles. Votre exigence était terrible, vos sanctions irrévocables, votre dédain cinglant.

Je tremblais à votre approche, mais peu à peu ce ne fut plus de peur, ou plus seulement de peur. Je tremblais de l'intensité de votre présence, qui pour moi était devenue sacrée.

Or ce n'est pas seulement votre talent pour dominer qui m'a attachée à vous par des liens si certains. Qu'était-ce ? Je crois que c'était ce fin sourire délicat, indulgent, ce sourire comme pour vous-même qui flottait parfois dans votre visage ravagé d'ange déchu, ces éclats d'amusement si rares aux coins de vos yeux qui marquaient que vous goûtiez la farce, et que loin de me forcer, nous la partagions.

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